Littérature italienne

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dimanche, mars 1 2015

Francesca Melandri - Plus haut que la mer

      Se réconcilier avec la lecture. Moment de joie douce après l’étrangeté d’une sorte de long divorce. Pas un billet sur ce blog depuis des mois, et pourtant il y a bien eu quelques romans pendant tout ce temps, comme, offert par Isabelle, Les Yeux dans les arbres, de Barbara Kingsolver, et L’Usage du monde, de Nicolas Bouvier,  et qui sait pourquoi j’avais si longtemps reculé devant cette lecture, alors que ce livre (qui n’est pas un roman) a ébloui quelques nuits d’insomnies. Et encore, prêté par Nathalie, Par-dessus le bord du monde de Tim Winton, en anglais Dirt Music (quelque chose comme la musique de la terre, mais peut-être aussi celle de la crasse ?). Beaux livres, mais comme effacés par une sorte de brouillard d’oubli.

     Et puis hier soir, cadeau de mon fils, j’ai ouvert Plus Haut que la mer, de Francesca Melandri, dont j’avais lu et chroniqué, il y a quasi pile un an, Eva Dort. Ouvert, et refermé seulement après l’avoir fini, quelques heures plus tard. Un livre beau, mélancolique, tranquille, profond, qui me rend au désir de tenter d’en écrire.

Il y a une Île, avec la majuscule, et l’anonymat, l’incertitude géographique. L’Île avec ses odeurs, ses routes impraticables, les rituels de ses habitants, tous organisés autour des prisons de haute ou moins haute sécurité qu’elle abrite. Une Île-prison, en somme, pourtant ouverte à la splendeur du ciel nocturne, à l’intensité des odeurs aromatiques, aux pulsations versatiles des vents et de la haute mer. Où vont se croiser trois personnages Paolo, Luisa, et Nitti Pierfrancesco. Le père d’un brigadiste, l’épouse d’un droit commun deux fois assassin, un « agent carcéral », ainsi désigné tout au long du roman par son identité administrative.

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samedi, janvier 25 2014

Francesca Melandri - Eva Dort

Je viens de finir Eva dort, offert à l'impromptu par Carole, rencontrée aux premiers jours de janvier à la librairie. Moi, je lui ai offert Gioconda. Je ne sais pas si je trouverai l'énergie ou le désir de chroniquer mes lectures en cette année qui s'ouvre – la liste des romans, des essais lus, et des films regardés, s'allonge, délaissée, effilochée... Mais je suis heureuse de l'ouvrir par ce billet. Quel beau roman ! De ceux qui attestent, s'il en est besoin, de la vitalité du genre, de sa capacité à créer des personnages qui accompagnent encore nos vies et nos pensées – comment a-t-on pu si doctoralement mettre en cause sa légitimité, en ces temps de spéculation débridée du Nouveau Roman, et croire que l'on pouvait cesser de « raconter des histoires » ! Un de ces romans où l'on respire à l'aise, dont la langue paraît familière – et pourtant combien hérissée ici d'interminables vocables tyroliens truffés de consonnes ! - dont les images, les associations d'idées, les personnages semblent nécessaires et justes. Un roman plein de l'histoire de l'Italie, avec une belle traversée en train, depuis le Haut Adige – car c'est cette greffe autrichienne laissée par la guerre de 14-18, et sa douloureuse et violente histoire, qui est le socle du roman – jusqu'à l'extrême sud de la botte, à portée de main de la Sicile. - Il y a bien longtemps que je n'ai pas traversé l'Italie en train, dans un des ces compartiments à trois sièges face à face - on peut les étendre en position de lit. Bonheur des voyages dans les années 70 – 80, rideau tirés, yeux fermés pour éloigner le plus longtemps possible d'éventuels voyageurs intrus, beauté-malgré-tout des paysages dévastés par des constructions anarchiques, étrangeté des perspectives contradictoires entre la mer et les montagnes... Je m'y suis retrouvée.

Si Eva traverse l'Italie en train en ce dimanche de Pâques, c'est pour aller, in extremis, à la rencontre de l'homme qui avait donné à son enfance, brièvement, fermement, honorablement, la couleur du bonheur. Son presque père, Vito Anania, un jour perdu, et dont la perte a restauré dans sa vie l'omniprésence absolue, hautaine, tendre pourtant, de sa mère Gerda Huber, ex Matratze devenue cuisinière émérite au Grand Hôtel de Frau Mayer à Merano. Eva a donc grandi à l'ombre de Gerda, et le voyage en train retisse au fil de ses pensées, dans l'alternance un peu systématique des kilomètres franchis et des dates - ce procédé qui, dans nombre de romans ces temps derniers, devient une ponctuation bien trop facile, systématique et somme toute assez peu suggestive de l'intrigue. (C'est le seul reproche que j'adresse à l'autrice, Francesca Melandri, que je n'avais pas encore nommée). Le voyage en train retisse donc au fil de ses pensées l'histoire familiale de ces montagnards humiliés dans leur langue et le tissu le plus intime et social à la fois de leurs vies par le rattachement du Tyrol du sud devenu Haut Adige à l'Italie, avec l'histoire de Gerda, puis d'Eva.

J'ai découvert dans Eva Dort un pan de l'histoire italienne dont j'ignorais tout. Au fil de mes lectures nocturnes, la pluie martelant le vélux, j'en ai aimé les personnages, tous, même les plus modestes apparitions, comme celle du sacristain Lukas – ou détesté, mais compris, certains, comme Hermann et Peter, frustes, brutaux, tranchants, le père et le frère d'Eva.

Il est temps à présent que je laisse, pour vaquer, pour courir, cette chronique dont j'espère, au seuil de l'année, qu'elle vous donnera le désir de lire Eva Dort, fluidement traduit par Danièle Valin.

mardi, juin 4 2013

Erri De Luca - Les Poissons ne ferment pas les yeux

Il y a une phrase que je ne comprends pas dans Les Poissons ne ferment pas les yeux, le dernier récit d’Erri De Luca - qui est le premier que j’aie lu. Il doit y avoir à peu près tout de lui, à la maison, mais je ne l’ai pas lu. J’ai toujours aimé l’écouter. Son français chantant, ses « r » roulés, sa voix douce. Il était hier chez Kathleen Evin, et le bouquin sur la table du salon.

Voici la phrase : « Après ces plages d’enfance, aucun tropique, l’Océanie m’a attiré. L’île a comblé mon désir de cet ailleurs. »

Je ne comprends ni la syntaxe, ni le sens. L’Océanie est entre les deux tropiques. J’ai l’impression de comprendre que cette île de l’enfance (Procida ? Ischia ?)  l’a détourné d’aller explorer l’Océanie ou quelque île exotique que ce soit. Que cette île de l’enfance a été pour lui plus intense que tous les tropiques. Mais ce n’est pas ce que dit la phrase. Je ne saisis pas le lien grammatical – ni même l’absence – entre ses divers éléments.

C’est un tout petit livre. Une histoire de rencontre entre deux enfants, lui, un garçon au corps trop petit pour son âme, elle, sagace et impérieuse, qui sait tout des animaux.
C’est un tout petit livre, chez Gallimard « Du Monde Entier », dont je n’aime, encore, ni la photo de jaquette, ni la quatrième de couverture, bien trop longue, bien trop précise, pour un si mince ouvrage. Il faudra un jour que j’écrive ma hargne contre les quatrièmes de couverture, qui galvaudent la substance des livres, et, pour le lecteur passionné, les flétrissent.

J’en extrais ces quelques lignes, où il est question d’Océanie, justement. La phrase citée plus haut suit le passage de quelques paragraphes.

« Le soir, je lis un livre acheté par mon père, des histoires d’Anglais dans leurs colonies de l’Océan Indien. Il y a des crimes, mais on n’a pas à découvrir l’assassin. J’ai recopié une phrase : ‘‘ Le remords ne tourmente pas ceux qui s’en sont bien sortis .’’ Aujourd’hui, je sais qu’elle est vraie. Alors, elle fut la secousse qui ébranla mes notions religieuses. Le remords, la confession, étaient les conséquences inévitables du crime. Le livre disait au contraire que ceux qui s’en tirent bien ne gardent aucune séquelle de souffrance. Il existait une variante selon laquelle le crime n’impliquait aucun poids. Ce fut une secousse souterraine. En lisant, on rencontre des phrases sismiques. »

C’est vrai. Pour moi, l’une d’entre elles, j’en ai parlé il y a peu, était « Mange, ou sois mangé ». C’était dans Croc Blanc, je devais avoir six ans. C’est drôle, pourquoi ?

mardi, décembre 25 2012

Alessandro Baricco - Emmaüs

Rembrandt - Les Pèlerins d'Emmaüs, détail. Paris, Musée du Louvre.

Il m’arrive souvent de me demander si c’est moi qui ne comprends rien, ou s’il y a un problème ailleurs. Ainsi d’Emmaüs, de Baricco. Que j’ai lu d’une traite, et dont la justesse sincère m’a saisie, dès les premiers mots. Et puis le libraire m’a signalé - c’était au Musc et la Palme, le 9 décembre – son éreintage. Surprise, j’ai écouté pérorer Arnaud Viviant. Un joli nom. Apparemment le personnage est convaincu de son importance – wikipédia signale qu’il a eu autrefois quelque stature dans le monde de la critique. Pour qui l’écoute aujourd’hui incidemment, il lui en reste la boursouflure, mais certes pas la force de conviction. Et pour moi qui le découvrais, c’est tout au plus un arrogant vieux con radiophonique.
Et Emmaüs est un beau roman, écrit et composé, sur l’exaltation et le désastre dans la vie d’adolescents chrétiens, en Italie, années 70.

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lundi, avril 23 2012

Silvia Avallone - D'acier / Acciaio

Le sentiment qui m’a saisie, dès les premières pages, de lire un livre brillant, inspiré, saisissant. Avec la joie qui l’accompagne, et qui ne se dément pas, au fil des presque 400 pages. C’est D’acier (Acciaio), de Silvia Avallone, chez Liana Levi.

 Entre les barres sinistrement soviétiques et délabrées de leur immeuble au 7, via Stalingrado, et la plage de l’autre côté de la route, où elles jouent et nagent à corps perdu en cet été 2001, deux filles de treize ans, presque quatorze, quittent l’enfance. Leurs corps brusquement éclos à la féminité deviennent si désirables qu’elles ne peuvent qu’en jouer, cibles incandescentes pour tous les mâles, jeunes ou vieux, de la cité et de la plage. C’est Piombino, au bord de la mer Tyrrhénienne, avec au loin, à une heure de brasses, l’île d’Elbe comme le lieu inaccessible de la beauté, de la richesse, luxe, calme et volupté.

Il y a Francesca la blonde, saisie dès la première page dans la visée des jumelles de son père écumant de fureur jalouse, et Anna la brune, la bouclée, qui va entrer au lycée classique, latin et grec, alors que son amie est brouillée avec les études. Toutes deux habitées par la grâce, la beauté et l’insolence (rien à voir avec les deux donzelles figées de la couverture !). Et au-dessus de leurs vies comme de celles de tous les leurs, la fonderie d’acier Lucchini, monstre dégradé et pourtant tout puissant dont la haute cheminée, la Ufa 4, domine la ville, et en dévore et digère toute la jeunesse. Hommes asservis par la fonderie, femmes soumises et résignées, jeunesse éperdue de shoots, d’alcool, de sexe, de brutalité et de vitesse, pour se sentir vivre. Quant au décor, il est lui aussi dévasté par l’aciérie, sol saturé d’acier et infertile, pullulement de chats mutants, faméliques, nés borgnes ou sans queue, décharges un peu partout et terrains vagues où l’on se forge un mini paradis terrestre, où l’on se dérobe aux yeux des autres. Ce qui pousse l’intrigue en avant, c’est la rage de vivre des plus jeunes, seule résistance encore vivace dans la désintégration économique et politique de la région et de l’Italie tout entière. C’est aussi l’amitié intense, ambiguë, qui unit – puis sépare – les deux filles.

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mardi, avril 10 2012

Camilleri, un autre

La peur de Montalbano - oui, c’est bien le titre, en italien aussi -  c’est, plutôt qu’un roman, quatre nouvelles juxtaposées. Pas mal, mais pas non plus de quoi fouetter un chat. Et puis, peut-être est-ce le style sui generis de Camilleri, mais si j’ai goûté dans d’autres textes les traductions-transpositions de Quadruppani, celle-ci m’a fait tiquer, comme trop envahissante. Ça grippe la lecture. Et encore : à force d’éloignement, Livia finit par perdre toute consistance, ou par virer à la mégère, c’est dommage ! et Salvo’ Montalbano se pastiche lui-même. Mmmm. J’ai mieux aimé Le Ciel volé, sans Montalbano, ni sicilien reconstitué. Sans prétention, en somme.

lundi, avril 9 2012

Andrea Camilleri - Le Ciel volé

Le Ciel volé, d’Andrea Camilleri - aperçu au détour d’un rayon de la bibliothèque municipale, comme je cherchais autre chose à me mettre sous la dent que les volumes empruntés pour travailler les Bucoliques de Virgile au programme des Terminales latinistes - est un petit livre parfait en période de coup de bourre, aussitôt commencé, aussitôt achevé. Ou comment l’auteur élabore avec astuce, autour d’un petit mystère sicilien de la vie de Renoir, Auguste soi-même, une historiette policière vivement troussée. Resterait-il des traces d’un hypothétique séjour du peintre à Agrigente, évoqué par son fils, mais absent de l’œuvre ? C’est le sujet d’une correspondance bientôt passionnée adressée par le vieux notaire sicilien Michele Riotta à la belle et mystérieuse Alma Corradi. S’ensuit un second mystère, dont je ne vous dirai rien. Il y en a pour une petite centaine de pages et quelques reproductions, et l’on s’endort, la Sicile et Renoir en tête, avec quelques fragments quasi abstraits de paysages réels ou disparus. Publié chez Skira en 2009, aussitôt traduit avec talent par Dominique Vittoz en 2010, chez Fayard.

dimanche, février 26 2012

La Comtesse de ricotta

La Comtesse de ricotta, de Milena Agus, - que j'ai chroniquée il y a un peu plus d'un an -, c'est pour bientôt. On peut en lire le premier chapitre ici sur le site des éditions Liana Levi. La traduction est de Françoise Brun.

mardi, janvier 24 2012

Addio Fruttero

      Triste nouvelle découverte en vagabondant sur la toile, via le site québécois Le Libraire, et que voici à sa source sur Livres hebdo : Carlo Fruttero, du duo (devenu solo en 2002) Fruttero et Lucentini, (j'ai chroniqué ici le bonheur de lecture (et de traduction) qu'avait été La Femme du dimanche - et j'apprends par la même occasion qu'il en existe une version filmique de Comencini, avec Mastroianni dans le rôle du commissaire et Jacqueline Bisset dans celui de l'exquise Anna Carla, merveilleuse idée de casting! - et je n'en ai jamais chroniqué L'Amant sans domicile fixe, pourtant un authentique bijou) Carlo Fruttero donc est allé rejoindre son alter ego parmi les ombres des humoristes désenchantés. Je les vois encore, caustiques et élégamment dégoûtés, affrontés à une ex-maîtresse de Sartre reconvertie dans le yoga et le souvenir pseudo-littéraire, à une émission d'Apostrophes, où ils avaient été invités pour la parution d'un florilège de leurs chroniques dans La Stampa, plaisamment titré La Prédominance du crétin. L'une d'entre elles brocardait, sous le titre du Blouson de M. Sartre, la tartuferie du grand homme. La scène était exquisément divertissante.

                                  R.I.P.

mercredi, novembre 3 2010

Milena Agus - La Contessa di ricotta

La Contessa di ricotta, l’ho finito ieri. In italiano, così che non so quale sarà il titolo francese.

- Se mi è piaciuto ? Certo ! ma perchè, è più difficile dirlo.

Bon, j’arrête les langues forestières. J’ai donc lu le dernier mince roman de Milena Agus (une « novella », à l’anglaise ?), La Contessa di ricotta, en italien. Je me l’étais en quelque sorte fait livrer par une amie.  Or quand je lis un roman dans une langue étrangère (l’anglais ou l’italien en fait), je suis si fière d’avoir mené à bien l’entreprise que le plaisir d’avoir « déchiffré le texte » déborde parfois le texte lui-même, et que je suis en peine de dire ce que j’en ai vraiment aimé, ou non.

A Castello, le vieux quartier de Cagliari, trois sœurs occupent les restes d’un palais dont la splendeur s’est écaillée de façade en façade, au fil des déroutes familiales ; des trois façades de leur palais d’angle, il leur en reste deux, et des dix appartements, seulement trois, un pour chacune des sœurs, l’une au rez-de-chaussée, l’une à l’étage noble, la dernière au troisième, le reste est vendu, et Noémi rêve de pouvoir le racheter, pour restaurer le prestige perdu.

Au rez-de-chaussée, la Comtesse de ricottacontessa de arrescottu, en sarde -, je ne sais comment on la traduira, ainsi nommée (et c’est sa seule identité) parce qu’elle est maladroite, qu’elle n’a ni allure ni assurance, et que tout lui tombe des mains, mani di ricotta... un cœur trop sensible, aussi, qui lui fait offrir son aide – pas toujours désirée – à tous les malheureux qu’elle croise. Elle a un fils, Carlino, bambin bancal, fugueur, que tout le monde prend pour un idiot avec ses lunettes en masque de plongée, et dont tout le monde, en particulier les autres enfants, rejette les tentatives d’approche. 

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dimanche, avril 11 2010

Camilleri - L'odore della notte

L’Odeur de la nuit, autre beau titre suggestif. C’était celui-là que je voulais lire, d’autant plus qu’il s’annonçait comme la suite du Voleur de goûter, où je crois avoir abandonné pour quelques années les aventures de Montalbano. À moins que ce ne soit à La Voix du violon. Lecture plaisante quoi qu’il en soit, même si, pour le coup, cette fois-ci, je suis un peu restée sur ma faim, malgré l’abondance des mets que s’offre Montalbano, entre les nunnatu (boulettes frites d’alevins pêchés clandestinement, et « constellées de points noirs : les yeux des minuscules poissons à peine nés »), ou les pirciati surépicés qui répandaient des odeurs de paradis terrestre, et autres merveilles offertes par la mer, la terre, et les talents des cuisinier(e)s sicilien(ne)s.

Peut-être y a-t-il dans ce volume quelque chose d’un peu systématique. La langue y est très sicilianisée jusqu’au cœur de la narration – au moins au début de l’histoire -. Et quoi qu’en dise le traducteur, toujours Serge Quadruppani, toujours en préambule, cette étrangeté familière m’est pour le coup apparue comme trop mécanique. (Au passage, il y a dans ce préambule un petit développement sur la nécessité « moderne » de ne pas céder à la tentation d’une traduction fluide par laquelle je me sentie, en quelque sorte, « visée ». Je conçois qu’une traduction rende les aspérités originelles de la langue d’un écrivain, fût-ce aux dépens de la grammaire classique. Je continue à protester contre le fait que le traducteur ignore les règles élémentaires de la grammaire dans sa propre langue, comme c’est évidemment le cas pour les exemples tirés de Doppler dont j’ai déjà oublié le traducteur). Cela dit, mes critiques d’aujourd’hui visent plus Camilleri soi-même en l’occurrence que Quadruppani, dont le travail est pour le moins intéressant et inventif. Mais trêve de ronchonnements.

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vendredi, avril 9 2010

Andrea Camilleri - La Forma dell'acqua (1994)

Je l’avais déjà lu, La Forme de l’eau. Mais je me suis trompée en l’empruntant. À cause sans doute du titre, très réussi, énigmatique et poétique à la fois, qui m’a attirée derechef. Le roman en donne la clé et l’illustre subtilement. C’est la première enquête du commissaire Salvù Montalbano, hommage de Camilleri à son collègue espagnol récemment décédé Montalban, et à leur goût commun pour la bonne cuisine (Camilleri je suppose, Montalban et Montalbano à coup sûr). Car le commissaire est gourmand, et l’on salive à l’idée des pâtes à l’huile et à l’ail, de la recette de poulpe seulement suggérée de l’épouse du questeur, ou des « frites croquantes et laissées un moment à égoutter sur le papier brun ». Je le vois, le papier brun, comme si j’y étais, ce papier brun absorbant des cornets à friture où l’on pioche avec les doigts, brûlante, la « frittura mista », qu’elle soit de mer ou de rivière, ahhhhhhhh !
Nous sommes donc à Vigàta, en Sicile, du côté de Montelusa. Ni l’une ni l’autre ville n’existent, même si la première se nourrit étroitement du Porto Empédocle natal de l’auteur, et la seconde d’Agrigente.

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samedi, mars 20 2010

Milena Agus : Mentre dorme il pescecane - Quand le requin dort

J’adore les romans de Milena Agus. Ses « histoires », comme dit son héroïne. Aussi foutraquement bâties que les personnages qu’elles mettent en scène, avec cette sorte de passion des êtres et des mots, et ce sens du récit vocal qui est sa marque puissante, irrésistible. Quasi personne n’a de nom, à part Biagio le chien du vétérinaire et ses nombreux compagnons. Il y a « papa » ou « mon père » qui se voue à sauver le monde, « maman » toute de guingois avec ses robes à fleurs qui pendent, sa passion de la splendeur du monde qu’elle transpose dans ses toiles ou dans le délire de fleurs dont elle a couronné l’immeuble, « ma tante » avec « ses seins et son corps bouleversants », « ses jambes interminables », ses cheveux mousseux et ébouriffés et l’interminable kyrielle de ses fiancés toujours en-allés, et « mon frère », qui ne cesse de jouer au piano « ces malheureux grands déjantés de Beethoven et compagnie ». Il y a la grand-mère aussi, qui essaie de mettre un peu d’ordre et de raison, en mots tout au moins, dans sa famille qui s’en va à vau-l’eau de tous les côtés, car tous sont des rêveurs, tous épris d’absolus, dieu ou l’amour, le grand, le vrai, l’unique, ou la liberté, ou le chagrin….
C’est la famille Sevilla-Mendoza, sarde, malgré les apparences, et il y a aussi Mauro De Cortes, le fiancé épisodique de la tante, qui aime à la passion la mer, et qui est bon. Et puis il y « lui », qui « ne voit autour de *lui* que des connards puants », selon qui nous sommes « faits de pisse et de merde», et qui s’emploie à en faire la matière même de sa relation avec la narratrice, une toute jeune fille (elle est au lycée) au cœur aussi perplexe et bancal que les héroïnes des histoires précédentes, qui sont en fait les suivantes puisque ce roman-ci a été le premier publié en Italie.

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mercredi, janvier 21 2009

Milena Agus - Mon Voisin

Charmante historiette (42 pages- 3€). Où l'on retrouve Cagliari au soleil ou sous la pluie, une jeune femme un peu égarée, un peu suicidaire. Avec son bébé muet. Et le voisin, son jardin, son mur fleuri de glycines et alourdi de lierre sous le balcon de la narratrice, et son jeune fils rageur et plein de coups de pieds. Rencontres, dialogues et promenades. Cagliari, ses placettes, ses enfants et ses exilés. Et cet art de conter des histoires écrites comme si on les entendait.

C'est chez Liana Levi Piccolo. La couverture est jolie, quoiqu'elle représente sur fond de ciel bleu un olivier et non une glycine sur un mur à tessons. Mais baste.

dimanche, février 10 2008

Milena Agus - Battement d'Ailes / Ali di Babbo*

Un an s’est écoulé et Milena Agus a écrit une nouvelle histoire. Que j’ai achetée, aussitôt que publiée. Et lue, à peine rentrée. Le livre qu’on ouvre sur un coin de table, en urgence, entre les courses et le repas du soir. Puis qu’on emporte au lit, au chaud, pour le finir.
Une histoire, c’est bien ça. Parce que ces livres, je les écoute tout autant que je les lis. Avec un sourire ravi de gosse affamée. C’est tout un univers déjà familier de gens un peu braques, éperdument excentriques et pourtant proches, sur fond somptueux de paysages sardes. Cette fois, c’est Madame, l’héroïne macca, scimingiada, évoquée par le regard d’une toute jeune fille, adolescente elle aussi un peu égarée, dans un maquis sarde éblouissant et menacé par les promoteurs.

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dimanche, octobre 14 2007

Andrea Camilleri, La Pension Eva

Je parlerai un jour des romans policiers, enquêtes menées par le gourmand, tenace et désabusé commissaire Montalbano, (dont le patronyme est un hommage de Camilleri à son confrère catalan Montalbán, le créateur du gourmand Pepe Carvalho) - Quand j’aurai remis la main sur au moins l’un d’entre eux, parce qu’il n’y en a aucun sur les étagères où ils sont censés se trouver ; signe infaillible : bouquins prêtés - à qui ? – jamais rendus….
La Pension Eva n’est pas une enquête du gourmet commissaire. Camilleri a même jugé bon de l’introduire par une notule, où il qualifie ce mince opus de « vacances narratives », faute de pouvoir le ranger dans une catégorie littéraire… « Récit heureusement inqualifiable », dit-il… Voire. Récit heureux, celui de l’initiation à la vie de Nenè, de l’aube de ses onze ans à l’aube de l’âge adulte, par bordel interposé. La pension Eva, pimpante villa aux murs toujours crépis de frais, aux volets verts toujours clos, titille dès l’enfance la curiosité de Nenè lors de ses promenades jusqu’au port :

Nenè le savait, ce que c’était qu’une pension, il l’avait demandé à un de ses cousins, qui faisait l’université à Palerme : c’était querque chose de mieux qu’une auberge et querque chose de pire qu’un hôtel. (..) Mais alors pourquoi de jour, devant le porche de cette pension, il n’y avait vraiment aucun mouvement ?

Nenè gamberge sec, à propos de cette auberge, et il a bien du mal à se faire une religion :

- Papa, c’est vrai, que dedans cette maison, les hommes peuvent louer des femmes nues ?
C’est tout ce qu’il avait aréussi à saisir des explications de ses petits copains. À part qu’il avait appris que la pension Eva pouvait s’appeler aussi
bordel ou boxon et que les femmes qui étaient là-dedans et qu’on pouvait louer étaient appelées putains. Mais bordel et putain, c’était des gros mots qu’un minot correct ne devait pas dire.
- Oui, arépondit, frais et tranquille, son père.
- Ils les louent à l’année ?
- Non, pour un quart d’heure, une demi-heure.
- Et qu’est-ce qu’ils en font ?
- Ils se les regardent, dit son papa.

Son initiation amoureuse, Nenè la connaîtra en dehors de la pension. Mais ses rêves s’y accrochent opiniâtrement.

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jeudi, octobre 4 2007

Soie


Découverte éblouie il y a dix ans dans un train. Snobé par les critiques de France Culture, plébiscité par les lecteurs. Je l’ai lu en français et en italien. Que dire de ce bref ouvrage soyeux jusqu’en sa jaquette ornée d’un idéogramme mystérieux comme le message, puis les lettres, reçus par Hervé Joncour ?

- Que l’auteur, Alessandro Baricco, y élabore sans que cela paraisse factice une narration inspirée des vieux poèmes épiques, retours de motifs narratifs avec variantes (ce sont les voyages d’Hervé Joncour entre Lavilledieu – où j’allai un jour d’été « tâter » l’air de ses ruelles anciennes – et le Japon), en brefs chapitres aux brèves phrases – presque des vers.

Un éleveur de vers à soie, un type un peu à côté de sa vie, quitte un jour son bourg du Vivarais pour tenter de s’approvisionner en œufs sains dans le lointain Japon clos aux Occidentaux. Il y rencontre un puissant chef de village, le silencieux Hara Kei, et sa belle et muette compagne. Y reçoit l’empreinte de la beauté, de l’harmonie et du silence, qui quatre ans de suite, le ramènera irrésistiblement chez Hara Kei. Jusqu’à la catastrophe du dernier voyage.

Les personnages, à Lavilledieu comme au Japon, sont tous à la fois familiers et insaisissables, c’est un récit fait pour être lu à voix haute, et cependant, pictural et chorégraphique. Musical et silencieux. Une histoire. Belle, mystérieuse, sobre.

Chapitre 19.


Il ne s’arrêta que lorsque la végétation s’ouvrit soudain, un court instant, comme une fenêtre, sur le bord du sentier. On voyait un lac, une trentaine de mètres plus bas. Et sur la rive de ce lac, accroupis sur le sol, dos tourné, Hara Kei et une femme vêtue d’une robe orange, les cheveux dénoués aux épaules. À l’instant où Hervé Joncour l’aperçut, elle se retourna, lentement, un court instant, le temps de croiser son regard.

Ses yeux n’avaient pas une forme orientale, et son visage était celui d’une jeune fille.

Hervé Joncour recommença à marcher, dans l’épaisseur des fourrés, et quand il en sortit se retrouva au bord du lac. À quelques pas de lui, Hara Kei, seul, dos tourné, était assis, immobile, vêtu de noir. Près de lui, il y avait une robe orange abandonnée sur le sol, et deux sandales de paille. Hervé Joncour s’approcha. De minuscules ondes concentriques déposaient l’eau du lac sur le rivage, comme envoyées là, de très loin.

- Mon ami français, murmura Hara Kei, sans se retourner.


Chapitre 32

À l’extrémité opposée du village on apercevait le palais d’Hara Kei, à peine plus haut que les autres maisons, mais entouré de cèdres énormes qui en défendaient la solitude. Hervé Joncour resta quelques instants à l’observer, comme s’il n’y avait rien d’autre, jusqu’à l’horizon. Ce fut ainsi qu’il vit,

finalement,

tout à coup,

le ciel au-dessus du palais se noircir du vol de centaines d’oiseaux, comme explosés de la terre, des oiseaux de toutes sortes, étourdis, qui s’enfuyaient de tous côtés, affolés, et chantaient et criaient, pyrotechnie jaillissante d’ailes, nuée de couleurs et de bruits lancés dans la lumière, terrorisés, musique en fuite, là dans le ciel, à voler.

Hervé Joncour sourit.

jeudi, août 9 2007

Un illustrateur inspiré

Je replace ici le billet concernant Le Baron perché de Calvino, illustré par Yan Nascimbene. Le talent de l'illustrateur mérite que l'on fasse apparaître quelques unes de ses images inspirées.


Quant au Baron perché, les Éditions du Seuil l’ont publié en volume relié, illustré par Yan Nascimbene. C'est une édition "jeunesse" dont le lien ci-desous avec la rubrique Calvino du très joli site de Yan Nascimbene, et quelques images y prélevées, vous donneront une idée. Je vous recommande cette édition : elle est merveilleusement réussie. On trouve dans le dessin la même légèreté et la même fantaisie parfois foisonnante que dans le roman. On s'y promène avec le même regard charmé, on y explore les images comme on découvre toujours quelque nouvelle excentricité dans l'histoire. Les personnages y sont juste assez incarnés, juste assez silhouettes. C'est un bonheur :

Il est à mon avis rare de trouver un tel accord entre un auteur et un illustrateur.

Le site de Yan Nascimbene donne toutes les illustrations réalisées pour Le Baron, pour Palomar, et pour un texte moins connu : Aventures.

Précipitez-vous, promenez-vous, offrez ce livre à vos enfants, à vos amis, c'est une occasion toujours renouvelée de plaisir des yeux et de l'esprit.

Côme méditant

Violette à la balançoire

jeudi, mai 24 2007

Pour être écrit, c’est écrit, "La Femme du dimanche" *

Que je viens de relire, après l'avoir racheté, puisqu'il avait disparu (très laide couverture, chez Points seuil, où vont-ils chercher leurs maquettistes ? et qui ne colle en rien avec le roman).

Qui dira le plaisir de relire? J'avais totalement oublié qui était l'assassin. Mais il me restait une atmosphère, intacte, un style, inimitable, à la fois complice et "suspendu", l'allusion, le "hint'", distillés comme un des beaux-arts (*il y a un américaniste inénarrable de médiocrité dans l'histoire).
Délicieusement égaré, le lecteur suit à travers les rues de Turin et les bosquets des collines environnantes - des avenues sinistres au Balùn, le marché aux puces - une guirlande de personnages disparates réunis par leur intimité avec la ville : aristocrates ou grands bourgeois ineffablement bien élevés, évêque érudit, petits employés, virago exaspérée par la dégradation des mœurs…et le commissaire Santamaria, si correct quoique méridio, et l'exquise Anna Carla pleine de grâce.
De Fruttero et Lucentini, traduction ciselée par Philippe Jaccottet. Un régal.

vendredi, mai 11 2007

Nos Ancêtres, Vicomte et Baron - Italo Calvino

Y a-t-il parmi vous des lecteurs de Calvino ? Pour ma part, il y bien des choses que j'aime chez lui, mais j'ai une prédilection particulière pour Le Baron perché, et pour Le Vicomte pourfendu, dans la série Nos ancêtres, qui comporte aussi Le Chevalier inexistant, pour lequel ma sympathie est moindre. Commençons par Le Vicomte, dont je ne me lasse pas, et que j'ai autrefois testé sur des enfants jeunes (moins de dix ans), en épisodes, ça a particulièrement bien marché. Je l’ai aussi lu, à voix haute et quasi in extenso, avec commentaire cursif, dans une classe de STI non-lecteurs. Succès.

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vendredi, mai 4 2007

Un tout petit livre : Francesco Masala, ''Ceux d'Arasolé'' , chez Zulma.

En italien, Quelli dalle labbra bianche, Ceux aux lèvres blanches, c'est-à-dire les pauvres. C'est, au rythme du glas qu'il est train de sonner pour le vingtième anniversaire de la fin de la guerre, la chronique des neuf villageois morts sur le front russe, par Daniele Culobianco, le sonneur de cloches et seul survivant. Le bouquin date de 62, traduit en 99. Je l'ai trouvé sur les rayons de ma propre bibliothèque en rangeant. C'est magnifique. En Sardaigne, un petit village déshérité, au bout du monde.

Selon prêtre Fele, Dieu a créé notre île en tassant sous son talon de flamme un tas de pierres oubliées au fond du panier. Voilà pourquoi la Sardaigne a la forme d'un pied. Selon Zio Pasquale Corru, le bon Dieu avait un cor au pied à l'endroit d'Arasolé.

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jeudi, mai 3 2007

Milena Agus, Mal de pierres, chez Liana Levi.

Mal de pierres, Mal di pietre, Mali de is perdas en dialecte sarde. La voix de la narratrice, jeune femme éperdue d'amour pour sa grand-mère, retrace, recompose, retisse la vie de celle-ci : dans les années 40, grâce et gaucherie infinies mêlées, elle est au village celle que l'on courtise puis que l'on fuit étrangement, celle qui n'arrive pas à se faire épouser, aimée avec perplexité de son père et de ses sœurs, haïe de sa mère. Scandale : elle écrit des poèmes et des déclarations enflammées à ses soupirants. Folle, et atteinte du mal des pierres, coliques néphrétiques qui la terrassent régulièrement. Jusqu'à cette année 43 où, fuyant Cagliari détruite par un bombardement qui a anéanti sa famille et sa maison, arrive avec sa valise celui qui trouve refuge au village chez les arrière-grands-parents, et un mois plus tard épouse la grand-mère, malgré elle, qui ne l'aime pas.

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